Impot - I. Rifath - Unsplash

La progressivité de l’impôt en France, un mythe ou une réalité ?

Une étude de l'Institut des Politiques Publiques datant de juin 2023 remet en cause la progressivité de l'imposition en France
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« Les très riches ne paient que 2% d’impôt sur le revenu », ce titre accrocheur de l’entretien accordé par Gabriel ZUCMAN (Economiste, Professeur à la prestigieuse ENS-PSL et Directeur du l’EU Tax Observatory) au magazine Alternatives Economiques de juin 2023 a suscité notre attention. La progressivité de l’impôt qui doit prendre en compte la capacité contributive de chacun, est en effet un sujet technique souvent réservé aux professionnels mais étant le symbole de la solidarité à la française, il doit être démocratisé. Cependant, les chiffres présentés lors de cet échange nous interpellent car ils mettent à mal ce postulat moral datant de 1789. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons faire écho de cet entretien et comprendre les ordres de grandeurs choquants utilisés par Gabriel ZUCMAN.

En partant des résultats d’une étude récente de l’Institut des Politiques Publiques, Gabriel ZUCMAN démontre que le système fiscal français n’est pas progressif de bout en bout. Les chiffres présentés lors de cet échange sont très parlants :

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©readingsphere.com – L’imposition en France est-elle progressive ?

La progressivité n’est pas vraie pour tout le monde. Les plus riches qui ont certainement un patrimoine déjà bien constitué et une capacité contributive qui est au-delà de l’essentiel des foyers fiscaux, paient moins d’impôts que n’importe qui en proportion de leurs richesses créées sur une années fiscale.

Schma 2 - Contribution de lIR - G Zucman

©readingsphere.com – Contribution de l’impôt sur le revenu dans l’imposition globale

Ce problème de dégressivité chez les plus hauts revenus qui s’explique par la composition de leurs revenus entre le revenu personnel (qui entre dans l’assiette de calcul de l’IR) et le revenu professionnel (bénéfices des sociétés effectivement contrôlées par le foyer fiscal et qui est du périmètre de l’IS), nous oblige à nous interroger sur l’équité du système fiscal français

Les chiffres utilisés par Gabriel ZUCMAN proviennent de l’étude de l’Institut des Politiques Publiques (IPP) de juin 2023 intitulée « Quels impôts les milliardaires paient-ils ? ». Avec un tel titre, il est aisé de deviner le sujet principal de ce papier qui est en effet, consacré à la progressivité de l’impôt en France et plus particulièrement chez les hauts revenus.

Avant de tenter de faire une synthèse de cette étude, il est indispensable de revenir sur les données utilisés permettant de mettre en avant ces taux qui nous interpellent.

Tout d’abord, l’étude se base sur les données fiscales de 2016. C’est le seul millésime comportant l’ensemble des informations permettant d’avoir un résultat aussi fin.

Pour apprécier la contribution fiscale des ménages français, il faut modéliser comme dans n’importe quel secteur marchand, l’équivalent du TAEG (« taux annuel effectif global ») pour l’imposition et ce sera le taux effectif total d’imposition. Le calcul de ce taux globalisé se définit de la manière suivante :

  • Au dénominateur : Revenu fiscal de référence + Cotisation sociale non-contributive + bénéfices ou pertes des sociétés effectivement contrôlées par le foyer fiscal. Cet ensemble de recettes est aussi appelé le revenu économique ;
  • Au numérateur : (impôt sur le revenu + prélèvements sociaux + ISF) + (cotisations sociales non-contributives + impôts sur les sociétés). Ces items permettent de toucher tous les prélèvements associés au revenu économique ;

Et enfin, les auteurs de l’étude ont établi un tableau de répartition des foyers français selon leurs richesses générées sur l’année fiscale 2016 c’est-à-dire selon leurs revenus économiques. Cette distribution se présente de la manière suivante :

Tableau Rpartion des foyers selon richesse

Répartition des foyers selon leurs revenus – ©readingsphere.com – Source : Quels impôts les milliardaires paient-ils ? | Institut des Politiques Publiques – IPP

Pour avoir la bonne lecture de ce tableau, prenons comme exemple la 3ème ligne : on lit donc que 10% des foyers soit 3 783 300 foyers fiscaux ont un revenu fiscal supérieur à 52 100 euros dont la moyenne dès qu’on dépasse le seuil est de 92 300 euros. Ces 10% ont un revenu économique de 61 900 euros avec une moyenne de 137 000 euros dès le seuil franchi. Et pour ces mêmes 10% les plus riches de France en 2016, le revenu fiscal représente 67% du revenu économique en prenant comme base de calcul, la moyenne au-delà du seuil.

Une fois les paramètres figés, passons à l’étude et ses enseignements.

Pour apprécier l’aspect progressif du système fiscal français, l’étude de l’IPP se base uniquement sur la tranche des 10% les plus riches de France en 2016 soit 3 783 300 foyers (cf. le tableau ci-dessus) afin établir le taux effectif total d’imposition pour chaque catégorie de foyer. Et le résultat est le suivant :

Schma 3 - Ipp

« Taux d’imposition totaux au revenu économique » – Source : Quels impôts les milliardaires paient-ils ? | Institut des Politiques Publiques – IPP – Ajouts effectués par readingsphere.com

Le graphique établi par les auteurs de l’étude nous révèle que la progressivité du taux effectif total d’imposition se confirme jusqu’au 0.1% des foyers les plus riches avec un taux de 46% composé majoritairement d’impôt sur le revenu, de prélèvements sociaux et de cotisations sociale. Au-delà de cette tranche, on peut affirmer que l’impôt devient régressif pour atteindre un plancher de 26.2% pour chez les 0.0002% les plus aisés de France (c’est-à-dire les milliardaires). Ce niveau de contribution fiscale pour ces foyers milliardaires s’explique par la composition de leurs revenus économiques qui sont en quasi-totalité constitués de revenus professionnels assujettis à l’impôt sur les sociétés (son taux était de 33.33% en 2016). Selon le tableau des répartitions des foyers ci-dessus, pour ces 75 familles les plus riches, le revenu fiscal ne représente que 4% du revenu économique ce qui explique donc la part négligeable de l’IR dans l’impôt effectif global.

Cette démonstration pose alors la question de l’effort fiscal qui pourrait se traduire de la manière suivante :

Tableau Effort Fiscal

Tableau d’effort fiscal – ©readingsphere.com – Source : Quels impôts les milliardaires paient-ils ? | Institut des Politiques Publiques – IPP

Avec la dégressivité révélée par l’étude, on en déduit aisément que les plus riches s’enrichissent plus vite que le reste de la population. Les milliardaires ont l’effort fiscale la moins importante et donc un reste à vivre plus conséquent en nombre de mois.

Sommes-nous tous égaux face à la fiscalité ? Les résultats de cette étude rendent légitime cette question. Il ne s’agit pas à travers cette réflexion, d’aller vers une imposition confiscatoire qui serait assurément un handicap pour la France. Le pays a l’obligation d’être attractif pour attirer les capitaux, et d’être agile pour favoriser le développement des « French Tech » afin que le pays soit précurseur dans les technologies de demain et que les sujets de souveraineté nationale soient anticipés. La France a aussi besoin de talents pour avancer et par conséquent, le mérite ne doit pas être amputé par une certaine fiscalité. L’enjeu à travers cette étude est la recherche d’un système d’équité permettant d’avoir une paix sociale et de vivre dans un pays bien équipé. La notion de climat de vie est certainement l’un des points les plus différenciant dans l’attractivité des pays.