La Théorie de l’Agence : l’asymétrie d’information en Finance d’Entreprise

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Trouvant son origine dans les années 1930 et théorisée dans les années 1970 par Alchian et Demsetz (1972) puis par Michael Jensen et William Meckling (1976), la théorie de l’agence est un concept clé en Finance d’Entreprise qui tire son origine dans les nœuds de conflits au sein d’une entreprise dont leurs résolutions passent par la mise en place de contrats, de mesures incitatives et des outils de surveillance afin d’orienter le comportement de l’ensemble des acteurs constituant cet environnement professionnel.

La théorie de l’agence va se focusser sur les problèmes d’agence qui surgissent lorsque les propriétaires d’une entreprise (les actionnaires ou principal) délèguent sa gestion à un dirigeant (agent). Ce mandat délivré par les actionnaires donnant plein pouvoir au mandataire social pour piloter l’entreprise est à l’origine les conflits d’intérêts potentiels et des inefficacités résultantes dans les relations principal-agent.

Dans un contexte d’ouverture du capital, les actionnaires qui sont les propriétaires de l’entreprise n’interviennent pas dans sa gestion. Ils délivrent un mandat à une personne compétente à savoir un dirigeant aussi appelé mandataire social, pour assumer cette fonction c’est-à-dire le pilotage de l’entreprise qui doit être théoriquement orienté dans le sens de l’intérêt des actionnaires et de la valorisation de l’actif sous-jacent.

La délivrance de ce mandat est le point de départ du conflit entre actionnaires-propriétaires et dirigeant-mandataire social :

  • Les actionnaires sont en principe sur un rapport de force qui leur est favorable dans la mesure où ils ont la possibilité de limoger le dirigeant à tout moment ;
  • Or, le dirigeant qui possède les pleins pouvoirs pour gérer l’entreprise, va bouleverser ce rapport de forces. Son ascendant sur l’ensemble du personnel va lui permettre d’avoir un capital d’informations le rendant incontournable auprès des actionnaires et d’en maîtriser sa diffusion dans son propre intérêt ;

Cette relation entre actionnaires et dirigeant peut donc conduire à des conflits d’intérêts lorsque le mandataire social prend des décisions qui bénéficient davantage à lui-même qu’aux propriétaires de l’entreprise.

L’asymétrie d’information est une conséquence directe de ce rapport de force. Alors que l’actionnaires cherchent régulièrement la bonne valorisation de leurs actifs à partir des données disponibles et communiquées par le dirigeant, le fait que les parties prenantes ne soient pas au même niveau d’information constitue un véritable handicap pour les actionnaires. En d’autres termes, les propriétaires qui s’appuient sur les « data » délivrées par le dirigeant qui est lui-même parti-pris, peuvent avoir une vision biaisée de la santé de son entreprise et par voie de conséquence, la valeur des actions risque d’être tronquée.

Pour limiter cette asymétrie d’information, les actionnaires sont être obligés de mettre en place des garde-fous engendrant des coûts d’agence conséquents pour orienter le comportement du dirigeant : 

  1. Contrats incitatifs : des structures de rémunération basées sur la performance (actions gratuites, stock option, politique d’actionnariat-salarié, bonus, et autres) sont mises en place pour aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires. Ces « incentives » sont répertoriées dans les coûts de gouvernance ;
  2. Surveillance et contrôle : Les actionnaires peuvent instaurer des mécanismes de surveillance comme les audits internes et externes, et former des comités de direction indépendants. Ces outils de « monitoring » sont répertoriés dans les coûts de surveillance ;
  3. Eléments externes à l’entreprise : La réaction marchés financiers aux performances de l’entreprise et l’effet de réputation sur le marché du travail peuvent cadrer le comportement du dirigeant.

L’asymétrie d’information dévoilée par la théorie de l’agence est fondamentalement contraire à l’hypothèse de l’efficience de marché. Selon cette hypothèse, toutes les données disponibles sont immédiatement intégrées dans les prix des actifs, rendant ainsi les marchés parfaitement informés et efficients. Cependant, l’asymétrie d’information empêche d’aboutir à une telle situation, car les dirigeants détiennent des informations privilégiées que les actionnaires n’ont pas directement accès.

Cette théorie est l’un des éléments à l’origine de la distinction entre Finance d’Entreprise (qui se concentre sur la gestion interne des entreprises et les relations principal-agent) et Finance de Marché (qui s’intéresse aux transactions d’actifs financiers sur les marchés et à l’efficience de ces marchés). Le conflit entre les objectifs des actionnaires et des dirigeants reste un enjeu majeur, nécessitant des mécanismes robustes pour minimiser les coûts d’agence et optimiser la performance de l’entreprise.

Le rapport à minima conflictuel entre l’actionnaire et le dirigeant met en évidence l’opposition entre deux approches : celle à court terme de l’actionnaire qui est motivé par la valorisation de son actif et des dividendes à percevoir, contre celle à long terme du dirigeant cherchant à pérenniser l’entreprise. 

En résumé, la théorie de l’agence en Finance d’Entreprise met en lumière les défis liés à la gestion des relations principal-agent, l’importance de l’alignement des intérêts et la nécessité de mécanismes de contrôle efficaces pour assurer une gouvernance d’entreprise optimale.

  • Alchian & Demsetz (1972) : « Production information costs and economic organization » – American Economic Review, Vol. 62 ;
  • Jensen & Meckling (1976) : « Theory of the firm, managerial behavior, agency costs and ownership structure » – Journal of Financial Economics, October, Vol. 3.