Le Canal de Panama : une affaire qui a secoué l’hémicycle

L'affaire du Canal de Panama, un scandale de la fin du XIXème siècle ayant impliqué de nombreux parlementaires
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Tout au long de notre apprentissage, certains chapitres de l’Histoire sont étonnamment peu explorés alors que leurs récits ont profondément façonné le cours des événements. C’est le cas de l’affaire du Canal de Panama, bien que peu évoquée dans les manuels scolaires. Ce scandale, qui a éclaté à la fin du XIXème siècle, est bien plus qu’une histoire d’ingénierie financière farfelue. Il s’agit d’une toile complexe, tissée de corruption et de scandales politiques qui a déclenché une vague d’attentats terroristes menée par des anarchistes en France entre 1892 et 1894.

En point d’orgue de cette période sombre, l’assassinat du Président français Sadi Carnot en juin 1894 à Lyon. A la suite de cet événement tragique, trente anarchistes seront jugés à Paris début août 1894 et seront condamnés à mort.

Ainsi, nous vous proposons de plonger dans les méandres de ce scandale afin de comprendre son retentissement dans la société. 

Surfant sur le succès du Canal de Suez, Ferdinand de Lesseps veut réitérer son exploit technique avec l’isthme du Panama. La réalisation de ce projet permettrait de relier l’Océan Atlantique à l’Océan Pacifique sans devoir contourner le continent américain. Les perspectives commerciales de ce futur raccourci maritime sont donc réelles et importantes. C’est la raison pour laquelle les Lesseps Père et Fils vont réussir à lever aisément près de 1 milliards de francs pour entreprendre la réalisation du Canal de Panama.

Le 20 octobre 1880, Ferdinand de Lesseps et son fils Charles, créent la Compagnie universelle du canal océanique du Panama. Parmi les nombreuses propositions émanant des ingénieurs pour la création du canal, celle qui est retenue est la version de Ferdinand de Lesseps lui-même, un canal sans écluse sur 75 km de long pour un budget avoisinant 900 millions de francs qui sera entièrement financé par émission d’obligations. Il est important ici de mettre l’accent sur le type de projet retenu qui sera vraisemblablement à l’origine de ce fiasco opérationnel et donc financier, et qui deviendra par la suite en scandale politique.

Canal de Panam - Wagner51 - CC BY-SA 30 DEED - Wikimedia Commons

Canal de Panamá – Wagner51 – CC BY-SA 3.0 DEED – Wikimedia Commons

Les travaux débutent en 1881 mais le choix d’un canal sans écluse sur le modèle du Canal de Suez s’avère être une erreur fatale. Les ingénieurs de Lesseps n’ont pas anticipé la dureté de la roche. Le chantier subit des glissements de terre. Les travailleurs œuvrent dans des conditions difficiles et nombre d’entre eux mourront de la fièvre jaune et de la malaria. Les différentes sources convergent sur le chiffre de 5 500 morts chez les ouvriers et ingénieurs.

En 1888, le constat est désastreux. L’avancée n’est seulement que de 26 km sur un total attendu de 75 km pour un coût global d’environ de 1.4 milliards de francs contre 1 milliard initialement budgété pour l’intégralité du chantier. Il est donc primordial pour les Lesseps de lever à nouveau des fonds pour la poursuite du projet. Pour ce faire, les Lesseps décident d’acquérir une caution technique en recrutant Gustave Eiffel et acceptent le plan d’un canal avec écluses.

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Pour trouver ces fonds, les Lesseps ont l’idée originale et non ingénieuse, d’émettre des obligations à lots c’est-à-dire des titres remboursables par un système de tirage au sort pour un montant total de 720 millions de francs. Mais ce type d’opération est interdite par la loi. Alors, les Lesseps décident de mandater deux financiers, Cornélius Herz et Jacques de Reinach pour trouver le moyen de la rendre légale et créer des conditions favorables pour le lancement de cet emprunt.

Le 8 juin 1888, les députés votent en faveur de cette campagne d’émission d’obligations à lots. Mais la crise de l’époque et les inquiétudes sur l’avancement du chantier seront un frein chez les investisseurs puisque les Lesseps n’auront réussi qu’à lever 254 millions de francs. Et le 4 février 1889, le Tribunal Civil de la Seine prononce la liquidation de la Compagnie universelle du canal océanique du Panama touchant des dizaines de milliers de prêteurs français.

Obligation  lots de la Cie du Canal de Panama - Public Domain - Wikimedia Commons

Obligation à lots de la Cie du Canal de Panama – Public Domain – Wikimedia Commons

Le scandale va se déclencher pendant la mission du liquidateur qui découvre de nombreux nom de particuliers dans les registres comptables de la compagnie ayant reçu d’importantes sommes pendant la période des fameuses obligations à lots. Il s’agit précisément de 104 personnes comprenant des parlementaires mais aussi des journalistes et spécialistes. Il s’agit tout bonnement d’une campagne de pots de vin de grande ampleur orchestrée par Herz-Reinach, ayant permis d’obtenir le vote favorable des députés pour l’émission des obligations à lots et de bénéficier d’une presse conciliante pour cette levée de fonds. Le nom du Tigre, Georges Clémenceau sera également cité dans cette affaire sans doute à cause de sa proximité avec Herz, ce dernier prennant la fuite vers l’Angleterre. L’affaire du Panama obligera l’une des plus grandes figures politiques de l’Histoire de France, Georges Clémenceau, à quitter temporairement la scène politique.

Alors que les preuves sont bien probantes, cette affaire ne se soldera que par une seule condamnation, celle de Charles Baïhaut, le Ministre des Travaux Publics, avec une peine de 5 ans de prisons prononcée le 20 mars 1893 car il est la seule personne parmi tant d’autres ayant reconnu avoir accepté un pot de vin de 375 000 francs. Charles Baïhaut sera l’unique « chéquard » condamné, c’est ainsi qu’ont été surnommés les nombreux parlementaires corrompus.  

En réalité, ce scandale que nous avons rapidement survolé, dépasse la sphère de l’hémicycle. Il est important de noter que les banques en charge de placer ces fameuses obligations à lots auprès des épargnants français ont perçu en échange de cette mission, une commission de 5.67% soit 2 à 3 fois le prix habituellement pratiqué. Cette caution morale voire même cette expertise technique, a tout de même réussi à placer 254 millions de francs sur un papier dont le risque défaut de l’actif sous-jacent semblerait être très élevé puisque quelques mois après l’émission d’obligations, cet actif sous-jacent, c’est-à-dire la Compagnie universelle du canal océanique du Panama, était financièrement liquidé. L’affaire du Canal de Panama n’est-elle pas également un scandale financier ? Il s’agit tout de même de 85 000 français touchés pécuniairement par cette liquidation.